• A propos
  • M'écrire
  • Facebook
  • Instagram
  • Lutte Nuptiale
  • Premières fois
  • Identités Singulières
  • Twitter
  • 10 février 2018

    Dans les bois

    Tennis lacés, écouteurs rivés aux oreilles, Julie était prête. La Twingo garée en bordure de route le long d'une haie sauvage, et quoique encore engourdie par une courte nuit de sommeil, elle s’élança en trottinant sur le petit chemin de terre bordé de vignes sur lequel elle avait ses habitudes.

    Un petit vent frais faisait chanter les arbres, dissipant du même coup, par mèches vaporeuses, le fin duvet de brouillard cotonneux qui flottait encore devant un horizon à peine rougeoyant. Dans le silence de l'aurore frémissante, un groupe de canards, haut dans le ciel, marquait l'azur immaculé d'un v caractéristique. Encore une ravissante journée d'octobre pleine de lumière qui s'annonçait. Un temps idéal pour aller courir avant une longue journée de travail.

    Respirant à pleins poumons, l'effort commençant à faire chauffer chacun de ses muscles, Julie ressentait avec bonheur l'air glacé pénétrer ses narines, parcourir ses sinus en un flux puissant, puis descendre le long de sa tachée envahir ses poumons et gonfler chacune de ses alvéoles, avant de ressortir, en deux secousses profondes, expulsé par la bouche. Elle aimait vraiment cette sensation, presque douloureuse au début et pourtant tellement apaisante.

    Un, deux, inspire.
    Trois, quatre, expire.

    Un, deux, inspire.
    Trois, quatre, expire.

    Elle n'avait jamais réussi à expirer sur trois foulées, comme le lui avaient pourtant appris ses professeurs d'éducation physique au collège. Son rythme à elle c'était deux et deux. Et ça lui allait très bien. C'était ainsi qu'elle courait et qu'elle avalait les kilomètres, à petite foulée.

    Après avoir serpenté un moment au milieu des vignes, le chemin s'enfonçait progressivement dans la forêt. Une belle forêt de grands arbres dont les bras s'étiraient vers le ciel et dont la chevelure dorée se répandait alors en tapis moelleux le long de la piste. Aussitôt l'air se fit plus capiteux et la respiration un peu plus difficile. Calant sont pas sur le rythme de la musique, Julie avançait sans relâche. Elle connaissait le trajet par cœur. Environ une heure pour en faire le tour. Après le bois, une prairie où paissaient souvent des vaches, ensuite au croisement il fallait prendre à droite et filer tout droit à travers un verger de pommiers, puis retour au point de départ à travers les vignes en passant devant le vieil if. Mais avant cela, il fallait affronter une petite montée à travers les charmes et les châtaigniers dont les bogues à moitié éventrées jonchaient le sol.

    Un, deux, inspire.
    Trois, quatre, expire.

    Dans sa poitrine, son cœur se contractait avec vigueur. L'air frais ne l'incommodait plus du tout. A chaque foulée impulsée avec énergie, ses pieds s'ancraient fermement dans le sol. Désormais son organisme tournait à plein régime. Quelle formidable machine que le corps humain. Au loin, un gros écureuil roux jouait à cache-cache en sautant de branche en branche, presque invisible dans la frondaison orangée. Pas le temps de traîner, il fallait rester concentrée sur son souffle et ne pas écouter le corps qui souffre.

    Un, deux inspire...

    Brusquement, avant même qu'elle n'ait pu réaliser ce qui lui arrivait, Julie se retrouva étendue de tout son long dans les feuilles, face contre terre. Étourdie par cette chute, un peu désorientée, Julie resta allongée quelques secondes avant de comprendre ce qu'il venait de lui arriver. La vache, quelle gamelle ! songea-t-elle... Prenant appui sur ses mains, elle redressa lentement le buste puis se mit sur ses genoux. Une douleur sourde au poignet droit la faisait souffrir. Sûrement une petite foulure. Son sweat gris clair était déchiré au niveau du coude d'où perlait un peu de sang. Rien de grave. Le morne croassement d'un corbeau esseulé rompit la quiétude des bois bercés par le chuchotement des feuilles roussies. Retrouvant progressivement un semblant de contenance, Julie se rendit compte qu'elle avait perdu son iPod dans sa chute. Merde, l'iPod !

    Cherchant à tâtons autour d'elle, une grosse branche affleurait du manteau de feuilles. Voilà ce avait dû la faire trébucher. Grattant sommairement avec les ongles pour la mettre à jour, c'est un tout autre genre d'écorce qui apparut sous la fine couche de terre humide : un sweater gris clair flanqué d'un liseré rose. Julie fut prise d'un puissant mouvement de recul. Ce qu'elle avait d'abord pris pour une branche n'en était pas une, mais un membre. Quelqu'un était en enfoui là-dessous, elle en était persuadée. Montant du bas de ses épaules vers sa nuque, un vertige puissant la fit chanceler. Mais en dépit de cet effroi et de son irrépressible envie de partir à toutes jambes, et pour une raison qu'elle ne parvenait à pas à comprendre elle même, Julie ne pouvait s'en tenir à cette première constatation superficielle. S'il y avait un corps sous ces feuilles, elle devait en avoir le cœur absolument net avant de prévenir des secours.

    Happée par le désir de savoir, elle ne maîtrisait plus rien, ivre d'une sorte de folie incontrôlable qui coordonnait ses gestes sans qu'elle en eut conscience. Désormais à quatre pattes sur le bord de la piste, Julie dégageait et extirpait à pleines mains cette masse inerte enfouie sous l'humus gras, fourmillant d'insectes fuyant sous la lumière. C'était bien un être humain dont, rapidement, tout le bras et une partie du buste furent exhumés. Il ne fallut guère plus de temps pour que, bientôt, à peine dissimulé sous les feuilles, émergea un visage inanimé. Julie s'arrêta un instant, tremblante, le souffle coupé, en proie à une panique inénarrable. Elle avait reconnu instantanément cette paire de boucles d'oreilles quelle avait eu l'habitude de porter, et ces cheveux châtains, longs et fins, quelle avait l'habitude de coiffer chaque soir. Son cœur allait exploser dans sa poitrine.

    Rompant la quiétude feutrée du jour naissant, un hurlement inhumain transperça la forêt de part en part. Car le corps inanimé que Julie voyait étendu devant elle, c'était le sien.

    5 commentairess:

    1. Quelle chute ! (Dans les deux sens du terme !)
      Vivement la suite, des bisous,
      L’ourson du Nord

      RépondreSupprimer
    2. Wouah ! J’en suis estabausit... j’espère que la suite est écrite !

      RépondreSupprimer
    3. Bon d'accord, mais où est passé ce maudit iPod ?

      RépondreSupprimer
    4. Et c'est en fouillant un peu plus qu'elle s'aperçoit que son corps était masculin ?

      RépondreSupprimer
    5. Mais quelle horreur, tu vas me faire faire des cauchemars.

      RépondreSupprimer

    Bonjour, vous êtes bien chez Tambour Major.

    Ce billet vous a plu ? Il vous fait réagir ?
    Laissez donc un commentaire grâce au magnifique formulaire mis à votre disposition.

    Z'allez voir, ce n'est pas bien compliqué :

    1) Ecrivez votre petit mot doux dans l'espace de saisie ci-dessus.
    2) Identifiez-vous : sous Sélectionner le profil, cochez Nom/URL.
    3) Saisissez votre nom de scène, votre pseudonyme ou celui de votre chat si c'est ce dernier qui écrit.
    4) Si vous avez un blog, vous pouvez lui faire de la pub en mettant son adresse dans la case URL.
    Sinon passez directement à l'étape suivante.
    5) Cliquez sur Publier.
    6) Tadaaaaaam ! Sous vos yeux ébahis, votre commentaire s'affiche dans toute sa splendeur.

    Elle est pas belle la vie ?
    À bientôt !